Culture
- Publié le 24 mai 2022

Rencontre avec Julie Guibert, directrice du Ballet de l’Opéra de Lyon

Julie Guibert, directrice du Ballet de l'Opéra de Lyon / photo : Muriel Chaulet - Ville de Lyon
Crédit photo : Julie Guibert, directrice du Ballet de l'Opéra de Lyon / photo : Muriel Chaulet - Ville de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon fait entrer pour la toute première fois la chorégraphe allemande Pina Bausch à son répertoire avec la pièce Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört (Sur la montagne, on entendit un hurlement).
Créée en 1984, cette œuvre évoque la peur dans tous ses états, celle d’une humanité à l’avenir sombre, une humanité menacée d’autodestruction. Aussi, quarante ans après sa création, la pièce de Pina Bausch n’a rien perdu de son acuité.
 

Julie Guibert, directrice du Ballet de l’Opéra de Lyon, nous raconte pourquoi elle a choisi de faire entrer cette immense chorégraphe au répertoire de la compagnie.

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Julie Guibert, pouvez-vous nous présenter le Ballet de l’Opéra de Lyon ?

Le Ballet de l’Opéra de Lyon a toujours été un haut lieu de création, un laboratoire des écritures contemporaines. Une de ses missions est de faire éclore les écritures de demain.

Il a aussi pour mission de garder vive la mémoire de la danse contemporaine en présentant certaines des plus grandes œuvres de notre histoire chorégraphique, celles de William Forsythe, Jiří Kylián, Trisha Brown, Merce Cunningham et tant d’autres.

Le Ballet de l’Opéra de Lyon est une compagnie constituée de trente danseurs de treize nationalités différentes. Nous habitons les scènes régionales, nationales et internationales.
 

Qu’est-ce qu’une entrée au répertoire, comment cela se décide-t-il ?

On parle d’entrée au répertoire lorsque l’on décide d’inscrire au programme une œuvre existante qui a été créée pour d’autres.

C'est la toute première fois que l’on inscrit une pièce de Pina Bausch au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon. Pour moi, il était extrêmement important de représenter l’écriture de cette artiste, parce qu’elle résonne encore infiniment aujourd’hui. Même si cette pièce est de 1984, elle est d’une grande modernité.

Il est important de faire un lien entre ce qui a pu être écrit hier et la couleur que la pièce aura à présent, incarnée par des danseurs d’aujourd’hui. Il y a toujours ce sentiment de réécrire un nouvel original, une création infiniment contemporaine.
Dans le choix des pièces que j’intègre au répertoire, je travaille à cette résonnance, que les pièces fassent sens aujourd’hui.
 

Pourquoi le choix de Pina Bausch et de cette pièce en particulier ?

Pina Bausch, est quelqu’un qui a convoqué tout le vivant sur scène. Elle a fait entrer sur le plateau la fureur, la tendresse, la folie, l’absurdité, incarnés par des êtres vivants. C’est avec elle que la danse théâtre est née.

Je souhaitais offrir aux danseurs, à chaque interprète, quelque chose de nouveau, quelque chose qu’il n’a jamais traversé auparavant.

Dans cette création, il y a l’espace pour que l’interprète puisse incarner la pièce, presque comme un rôle. Pina Bausch a toujours travaillé en posant des questions à ses interprètes. Les danseurs du Ballet se sont aussi approprié certaines de ces questions et ont fait appel à leur vécu, à leurs émotions. Ils sont allés chercher quelque chose qui leur appartenait intimement.
Ce qui m’a plu dans cette pièce, c’est cet endroit d’invention, ces espaces de travail qui sont rarement approchés.
Dans l’écriture de Pina Bausch, c’est la pensée qui amène le mouvement. L’intention précède la forme.
 

Comment se déroule le travail de reprise de la pièce ?

Quand on reprend une pièce existante on invite des répétiteurs. Ces répétiteurs, Jo Ann Endicott, Jorge Puerta Armenta et Anne Martin, sont trois interprètes qui ont collaboré avec Pina Bausch à des périodes très différentes. Jo Ann Endicott et Anne Martin ont participé à la création de la pièce à l’origine. Elles transmettent leur propre rôle et évidemment la totalité de la pièce qui fait 2h30.

Il y a également un support vidéo, mais il n’est pas suffisant si on ne connait pas intimement la création. La transmission de cette pièce se fait donc à l’oral, par les danseurs. C’est pour cela qu’il faut absolument s’en saisir maintenant.
Les trois répétiteurs sont là tous les jours jusqu’à la première, ils auront passé deux mois avec les danseurs de manière collective et individuelle.

Aujourd'hui, la pièce est entièrement dans les corps et dans les mémoires. C’est un travail de grande patience et de répétition.
C’est à chaque danseur, maintenant, de trouver sa propre pièce pour faire œuvre ensemble.
 

Après cette entrée au répertoire d’une grande figure de la danse, quels sont les prochains rendez-vous ? Vers quoi regardez-vous pour la suite ?

Chaque année il y a environ deux entrées au répertoire, comme c’est le cas ici avec Pina Bausch, une reprise et une création. Cette année, nous avons repris Dance de Lucinda Childs, une pièce qui est au répertoire du Ballet depuis de nombreuses années et que l’on redonnera l’année prochaine au Toboggan à Décines (du 2 au 4 février 2023). La prochaine création sera La Belle au bois dormant de Marcos Morau, une pièce que le chorégraphe viendra créer ici, à l’Opéra, avec les danseurs. Elle sera présentée à l’automne (du 15 au 24 novembre 2022 à l’Opéra de Lyon).

Je suis également toujours très attentive à ce qui a lieu ici et maintenant, dans la création au sens large, l’écriture chorégraphique évidemment, mais aussi les arts visuels, la photographie, la littérature. Il y a plein de croisements possibles et j’aime être à l’écoute du bruit du monde.

L’art chorégraphique est un art extrêmement complexe et ample. Parfois on considère la danse comme quelque chose de joli, un art silencieux, comme une image, quelque chose qui ne nous permettrait pas forcément d’être traversé. La vision de la danse gagnerait à être élargie. Considérons l’art chorégraphique comme quelque chose d’indispensable.

Il est important de prendre soin de la relation que l’on a avec le public. Arriver à la renouveler, l’enrichir. L’œuvre se fabrique parce que le spectateur est présent. Sans son regard, il n’y a pas d’œuvre.

 

La pièce Auf dem Gebirge hat man ein Geschrei gehört de PIna Bausch sera présentée à l'Opéra du 28 juin au 7 juillet prochains. 

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